Le château et le domaine de La Colle Noire d’après les papiers des familles Poulle et Reibaud. Dossier d’étude sur une partie du fonds Louis Jourdan conservé aux Archives départementales des Alpes-Maritimes.
Novembre 2019
Quelques
mois après la disparition de Christian Dior, le romancier et critique d'art
Paul Guth consacrait en 1958 un article à son château de La Colle Noire récemment
(et profondément) rénové. « Avant tout il voulut donner l'impression qu'on
avait habité là, sans arrêt, depuis le XVIIIe siècle et que chaque
propriétaire, au gré de son humeur et des modes de son temps, avait effectué
telle ou telle modification ». Ces quelques indications lui ont de toute
évidence été données par l'architecte André Svetchine qui a procédé à la
métamorphose architecturale des lieux englobant une mystérieuse « tour »
datée du XVe siècle faute de documentation historique. Entre
décembre 2018 et mars 2019 était mise en œuvre une étude sur le tableau, le décor et le mobilier de la chapelle Saint-Barthélemy, satellite volontairement détaché
du domaine de La Colle Noire par Christian Dior en 1953. Selon la même démarche
et les mêmes méthodes, Guillaume Garcia-Moreau, responsable du site patrimonial,
a souhaité poursuivre les travaux d'une recherche historique sur ledit domaine
et son château acquis par les Parfums Christian Dior en 2013. Fondée sur le
dépouillement des sources archivistiques, leur confrontation à des
connaissances pluridisciplinaires et à un patrimoine monumental et artistique,
bref matériel, elle s'intéresse dans ce volet à la personne d'Henri-Emmanuel
Poulle, considéré comme fondateur, à l'exact milieu du XIXe siècle,
de « La Colle Noire ». L'histoire de la propriété de cet avocat, député et conseiller
général, lui ressemblait, somme toute. Du moins d'après la seule image que
pouvait générer la trame de ses biographies officielles. Les quelques
publications sur les origines de cette résidence de campagne, n'en ont, de ce
fait et jusqu'à présent, retenu qu'une histoire très administrative, juridique
et notariale. Elle se résume pour l'essentiel à la succession de ses
propriétaires et à un état cadastral figé dans le temps. Ce temps demeure en l'occurrence
celui des géomètres et des percepteurs, court et cerné entre 1839 et 1840, avec
quelques fébriles mouvements de curseur enregistrant des évolutions légales et
fiscales déclarées en 1850 et 1861, pour des modifications finalement assez mal
identifiées… toujours faute de documentation historique. L'intuition de Christian
Dior ne pouvait-elle cependant trouver meilleure confirmation ? On a pourtant
bien, pour la période concernée, « habité là, sans arrêt », et le
propriétaire y a bien procédé à des modifications « au gré de son humeur et
des modes de son temps », à quelques restrictions près. En 2016 était
exploité un des dossiers du fonds Louis Jourdan versé aux Archives
départementales des Alpes-Maritimes par l'époux d'une arrière-petite-fille d'Henri-Emmanuel
Poulle. Par son intitulé focalisé sur « La Colle Noire », le « 8 J 416 »
a été repéré dans l'inventaire de ces archives familiales publié en 1992, mais
côtoie en réalité cinquante-deux autres articles aux noms de personnes en lien
avec le domaine, comme la dame Ravanas, épouse dudit Poulle, Pauline Poulle épouse
Reibaud, leur fille, et Félix Reibaud, leur gendre antibois pour ne citer que les
propriétaires. Apparaîtront au fil du dépouillement Ferdinand et Félix Poulle, frères
du principal concerné et véritables chevilles ouvrières oubliées de celle qu'on
ne dénomme que « La Colle » jusqu'aux environs de 1850, mais aussi des
parents, des alliés, des amis, des proches, des fermiers au sens premier du
terme, des artisans, des maîtres d'ouvrage, un architecte… Ainsi, les
cinquante-trois dossiers, soit le mètre et demi linéaire d'archives concernant
les familles Poulle et Reibaud, se sont-ils avérés gisement de matière première
pour l'histoire de La Colle Noire comme création paysagère, architecturale, et
cadre d'une vie saisie dans ses moindres détails et sa quotidienneté, à travers
cent trente documents transcrits en annexe de l’étude. Au fil des pages et des
pièces extraites du fonds Louis Jourdan, se sont révélées les grandes heures de
La Colle Noire sous la plume de son fondateur. Au détour d'une note est apparu un
« colombier central », point de départ de l'identification du noyau de
la bâtisse originelle, puis de la localisation d’un relais de poste déjà bien
connu. A la faveur d'un modeste pense-bête a émergé le premier « cabinet
» comme pièce de la première maison nouvellement construite en 1850, logiquement
suivie de la seconde venue la prolonger pour constituer le nouveau château ou
fier « castel » couronné de ses deux pavillons. Ses principales pièces et
satellites ont pu être identifiés dans leur fonction originelle. Plusieurs
sources d’inspiration évoquées par le propriétaire lui-même dans ses papiers
personnels (faisant part de visites, prises de notes précises) puisent à des
modèles aixois, varois, et même d’autres provinces insoupçonnées,
aristocratiques comme ruraux. Enfin, au registre des avancées de la
connaissance figurent les noms des constructeurs, artisans et architecte d'une
partie de La Colle Noire. Cette démarche s'est également appliquée au paysage
du domaine et à une partie de la collection d’œuvres d’art constituée par
Poulle entre Aix, Draguignan et Montauroux.