Le blog d’un chercheur et formateur en histoire de l’art

Le blog d’un chercheur et formateur en histoire de l’art
en Provence… et ailleurs


L’art où, par qui, et comme il s’est fait.
Les articles régulièrement postés ici rendent compte d’une activité de recherche, de publication et de conception d’outils pédagogiques.
Ce blog déroule une vision concrète et sensible de l’histoire de l’art entrevue dans ses relations de proximité avec un territoire, avec des artistes parfois surpris dans leur travail d’atelier.
Une collection de monographies sur des peintres méconnus invite à (re)découvrir un patrimoine parfois insoupçonné en Provence. Des publications et des conférences en communiquent les récentes mises à jour. Des dossiers d’étude à destination des collectivités contribuent à la connaissance, aux décisions de conservation et aux choix de mise en valeur d’œuvres longtemps ignorées voire remisées.
Un ensemble de supports et matériels pédagogiques s’adresse à des publics divers, allant de l’outil de médiation à l’objet de formation.

Patrick Varrot
Formation, recherches et publications en histoire de l'art
Marseille
Pour tout contact: patrick.varrot@wanadoo.fr

jeudi 16 mai 2019

Dossiers d’étude

Marignane et son château aux XVe et XVIe siècles d’après les titres de la maison ducale de Bourbon

Avril 2019
 
Il y a dix ans maintenant ont été entamées les campagnes de recherches et d'études des documents authentiques destinées à alimenter l'histoire et la conservation du patrimoine marignanais. L'association des Amis de Marignane et de la Provence a ainsi initié cette série en 2009, poursuivie jusqu'en 2017, année marquée par le dépouillement des registres de Jean Bertrand, notaire à Marignane de 1529 à 1560. Les recherches corollaires à cette étude s’étaient montrées riches en perspectives, puisque avait été repéré à cette occasion un inventaire du château de Marignane daté (mais par erreur) des environs de 1515, répertorié parmi les titres de la maison ducale de Bourbon. Cet ensemble archivistique se trouve lui-même inclus dans le fonds de la cour des comptes du parlement de Paris versé aux Archives nationales. La nécessité de sa consultation s'est rapidement exprimée, et bien évidemment imposée comme suite logique à ce travail au long cours. L'implication de la ville de Marignane et de sa direction culturelle s'est dès lors avérée nécessaire pour assurer la mise en œuvre d'une mission, puis d'une étude d'un ensemble qui semblait devoir quelque peu bousculer de fragiles certitudes historiques sur le Marignane médiéval et renaissant. En janvier 2019 s'est donc réalisé à Paris ce relevé, suivi de la transcription de 36 documents, rédigés en latin médiéval pour une bonne moitié d'entre eux. Ils côtoient les papiers touchant toutes les possessions de l'apanage des ducs de Bourbon, parmi lesquelles il faut désormais compter la terre et seigneurie de Marignane. Leur mise en contexte, leur classement chronologique, parfois leur re-datation, ont été aussi indispensables que l'identification de leur auteur. L'intérêt de la ville pour ces archives datées de 1402 à 1530, paraissait manifeste, au regard d'un fonds communal ne remontant pas au-delà des années 1550. D'autre part, la littérature érudite disponible sur le sujet, encore empreinte de l'héritage intellectuel du XIXe siècle, se présente à la fois comme anachronique pour tout chercheur ou curieux d'aujourd'hui, et surtout approximative quant à ses sources. René dit le Bâtard de Savoie, comme sa demi-sœur Louise, présentés comme seigneur et dame de Marignane à partir de 1516, ne semblent, d'après les archives nationales, n'y tenir le rang décrit ou n'y intervenir que bien plus tard. Quant aux principaux protagonistes du dossier ouvert par extraction de l'ancien fonds des ducs de Bourbon, ils brillent tout simplement par leur absence des monographies locales, que ce soit cet Antoine de Varey, vendeur, ou ces « seigneur et dame duc et duchesse » de Bourbonnais et d'Auvergne, acquéreurs de terres provençales qu'on sait désormais aux mains d'une certaine Anne de France en 1517 et de son gendre le connétable. C'est en effet, dès la première lecture, ce qui ressort de l'inventaire dressé en 1874 par Albert Lecoy de La Marche des « titres de la maison ducale de Bourbon ». Ce paléographe célèbre pour ses travaux sur le roi René s'est attelé à une tâche laissée inachevée au décès de son prédécesseur Alphonse Huillard-Bréholles. Ce dernier avait été missionné par le ministre impérial pour un premier tome paru en 1867, celui des « Titres de la maison ducale de Bourbon. Inventaires et documents publiés par ordre de l'Empereur sous la direction de M. la Marquis de Laborde ». C'est grâce à leurs travaux qu'ont émergé, concernant Marignane, titres de propriété, actes d'acquisition, de prise de possession, de vente des fruits ou usufruits de la seigneurie, correspondance sur son état et ses revenus, copies d'actes anciens aliénant certains biens, inventaires. A partir des 36 documents produits pour et en conséquence de cette acquisition, s'est opérée une collecte et un archivage de clichés numériques. Une transcription de chaque pièce a conduit, pour celle qui le nécessitait, à une traduction du latin médiéval, puis à une extraction d'informations selon qu'elles alimentent une histoire seigneuriale, communale, personnelle, celle d'un lieu-dit ou d'un élément du patrimoine bâti. L’étude met ainsi à jour et précise la succession des seigneurs et dames du lieu, de François de Baux, son frère Guillaume de Baux, Yolande d’Aragon, Barthélemy Valori, Césarie d’Arlatan, Gabriel Valori, Louis Valori, Charles du Maine, René d’Anjou, Jean Cossa, René Cossa, Antoine de Varey, Jean Panisse, jusqu’à Anne de France, Suzanne de Bourbon, Charles de Bourbon, François Ier, Louise de Savoie, de même que celle des fermiers de la seigneurie au début du XVIe siècle, de Louis Balbe de Berton d’Avignon, Charles Bouquier de Marseille, Louis de Malleville de Marignane, à Antoine Coriolis d’Aix. Y interviennent également d’éminentes personnalités, indirectement comme le banquier lyonnais Thomas Gadagne, ou directement comme Pierre Filholi, archevêque d’Aix, Pierre Lestra, secrétaire des ducs de Bourbon, ou encore Jacques Cornillier, auditeur des comptes de Louise de Savoie. La masse (et manne) documentaire exploitée apporte un inestimable éclairage sur le patrimoine local et l’histoire communale, qu’il s’agisse de celle de la communauté, de son conseil, ses greffiers et ses notaires (dont la filiation a pu être en grande partie reconstituée de 1400 à 1565), ou de celle du territoire. Un état est ainsi dressé de la ville fortifiée, du château, de sa bibliothèque (inventoriée en 1521, et rassemblant de nombreux incunables issus des presses lyonnaises), de son grand jardin, des moulins, du quartier du Devens, de l’étang de Bolmon, du bourdigue, des marais de la Palun, du salin du Lion, de l’actuelle commune de Gignac-la-Nerthe. Des pistes de futures recherches en ont émergé : la reprise de l’étude sur le retable Renaissance malencontreusement associé aux Savoie alors que sa datation (et son iconographie) coïncident précisément avec la période de possession d’Anne de France, la poursuite des recherches sur la fondation de la chapelle Notre-Dame du Devens d’après les nouvelles indications sur le site de son implantation, l’éventuelle mise en évidence par l’archéologie de quelques projets arrêtés par le conseil de Louise de Savoie. Soucieuse de rendre accessible le dossier aux publics et aux chercheurs, la direction des affaires culturelles en a fait déposer un exemplaire aux archives communales, consultable sur demande.
 
Renseignements :
 
Direction des affaires culturelles de la ville de Marignane
53 avenue Jean Mermoz – 13700 Marignane
04 42 31 12 42
 
Archives municipales de Marignane
Bibliothèque Jean d’Ormesson
Avenue de Figueras - 13700 Marignane
04 42 31 12 40

jeudi 9 mai 2019

Dossiers d’étude

Le tableau, le décor peint et le mobilier de la chapelle Saint-Barthélemy.

Dossier d’étude sur un ensemble donné par Christian Dior à la commune de Montauroux.

Mars 2019

La chapelle Saint-Barthélemy de Montauroux ne présente guère d’intérêt architectural pour tout curieux ou promeneur visitant cette extrémité du département du Var. C’est aussi ce qu’avait conclu la commission des monuments historiques qui en avait rejeté la proposition de classement en 1956, pour finalement procéder à celui de tout le décor intérieur et du mobilier deux ans plus tard. En 1953, ce petit sanctuaire surplombant le village appartenait encore à Christian Dior qui avait récemment acquis à Montauroux le domaine de la Colle Noire, auquel se trouvait curieusement attaché l’édifice consacré au saint patron du lieu. Un don à la commune à la fin de cette même année lui a permis de clarifier les questions d’une propriété de longue date controversée et jamais véritablement tranchée… depuis le XVIIIe siècle.
La société des Parfums Christian Dior, qui a acquis le domaine en 2013, toujours impliquée dans la mise en valeur du patrimoine passé entre les mains du créateur, a donc initié une étude sur le tableau du maître-autel, ceux du pourtour, les lambris peints, le retable de gypserie, l’autel et le tabernacle de la chapelle. La restauration de cette dernière avait en effet été engagée par Christian Dior lui-même, puis posée comme condition relative à sa cession enregistrée par délibération du conseil municipal. Sur proposition de l’historien Frédéric d’Agay, le dossier s’est ouvert et concentré sur le tableau du retable, une Annonciation et saint Barthélemy, visiblement antérieur à l’édification de la chapelle datée de 1634 par les derniers travaux historiques locaux. Le dépouillement des archives épiscopales de Fréjus est venu confirmé sa mise en place entre 1600 et 1613, avant donc un agrandissement et une reconstruction documentés entre 1634 et 1639. L’identification de sources anversoises, romaines, bellifontaines et provençales a éclairé le contexte de la commande et de l’exécution de l’œuvre.  La superposition avec le compartiment d’un triptyque bas-alpin signé et daté de 1614 a guidé une attribution qui ne fait guère de doute, d’autant que le peintre était déjà bien connu entre Draguignan et la Provence orientale. La datation du retable de gypserie, pour lequel un nom de maçon montaurousien a été avancé, de même que celui d’un ou une auteur(e) pour les treize tableaux de la vie de la Vierge appendus au XVIIIe siècle par les pénitents blancs dont la titulature se devinait déjà à travers le sujet figuré au maître-autel. Réalisés par une main malhabile, dans une veine populaire caractéristique des années 1750, quasiment tous reprennent une estampe identifiée à l’occasion de cette étude. Se dévoile ainsi une collection d’images gravées provenant de toute l’Europe, ensemble jusqu’à présent insoupçonné dans l’entourage des pénitents de Montauroux. Les lambris peints ont inclus et complété cette série dans les années 1780-1785, avant que l’autel et le tabernacle de l’église paroissiale ne gagnent la chapelle en 1843. De fait, l’étude des peintures et du mobilier a permis de réécrire ou préciser l’histoire du monument qui les a accueillis, jusqu’à des interventions datées de 1954 qu’il est tentant de mettre au compte de relations que Christian Dior avait tissées avec le milieu culturel et artistique grassois. Par ailleurs saint Barthélemy patronnait anciennement les tanneurs et les gantiers, à l’origine d’une parfumerie qu’est précisément venu développer le créateur en pays de Fayence.
Soucieuse de la diffusion culturelle et scientifique de cette étude, la société des Parfums Christian Dior a remis un exemplaire de cette étude communicable au public, sur demande, à la ville de Montauroux, à la conservation régionale des monuments historiques, à la Société d’études scientifiques et archéologiques de Draguignan, au musée bibliothèque Paul Arbaud d’Aix-en-Provence.